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›  Entretien avec le troisième lauréat du Prix Xavier Mabille

Entretien avec le troisième lauréat du Prix Xavier Mabille

Lors de son Assemblée générale du 15 mars 2019, l’Association belge de science politique a décerné pour la troisième fois le Prix Xavier Mabille de la meilleure thèse en science politique. Était éligible pour ce Prix, toute thèse de doctorat en science politique soumise et défendue avec succès auprès d’une institution universitaire en Fédération Wallonie-Bruxelles en 2017 ou 2018. Le jury était présidé par Pierre Vercauteren et composé des membres du comité éditorial de la collection « Science politique » de l’ABSP, Thierry Braspenning, Ludivine Damay, Vincent de Coorebyter, Bérangère Marques-Pereira et Pierre Verjans. Après délibérations, il a remis le Prix Xavier Mabille de la meilleure thèse en science politique 2017-2018 à Julien Pomarède pour sa thèse intitulée «Mises en scène et stratégies d’internationalisation de la « lutte contre le terrorisme » : Guerre, surveillance, et armements à l’OTAN après le 11 septembre 2001. », défendue à l’Université libre de Bruxelles, le 24 octobre 2018.

Thomas Legein, secrétaire de l’ABSP, a rencontré le lauréat du prix à l’occasion d’un court entretien.

Thomas Legein (TL) : Tout d’abord, au nom de l’ABSP, j’adresse nos chaleureuses félicitations au nouveau lauréat du Prix Xavier Mabille de la meilleure thèse. Sans détour, accepterais-tu de résumer ta thèse en quelques mots pour notre audience ?

Julien Pomarède (JP) : Oui bien sûr. Je suis initialement parti d’une curiosité qui me paraissait intéressante d’exploiter en me lançant dans ma thèse. Je voulais en fait aller voir ce qui se passait à l’intérieur de l’OTAN. Qui fait concrètement l’OTAN ? Qui façonne l’OTAN ? Quels sont les acteurs qui y gravitent et qui contribuent à en façonner les politique de sécurité ? Je me suis posé ces questions parce que la littérature traite de deux manières dominantes l’OTAN, et plus spécifiquement la question de son « paradoxal » maintien après la fin de la Guerre froide. La première perspective postule que l’OTAN est une organisation internationale soumise à la volonté des Etats membres qui prennent des décisions diplomatiques en fonction d’intérêts dits « nationaux ». La deuxième perspective postule plutôt que l’OTAN est en fait une communauté de valeurs libérales-démocratiques pourvue d’une quasi autonomie dans sa capacité d’action. Donc d’un côté, on retrouve l’idée d’une espèce de souverainisme théorique et, de l’autre côté, une espèce d’Otano-centrisme. Plus intriguant encore à l’intérieur de cette dualité : personne n’a vraiment interrogé la manière dont l’OTAN participe à l’articulation des pratiques de sécurité elle-même, ce qui relève des savoir-faire politico-militaires et leurs usages dans des contextes de guerre ou de surveillance par exemple.

Je trouvais donc que la littérature n’était pas complètement satisfaisante pour comprendre l’existence contemporaine de l’OTAN et j’en suis venu progressivement à me convaincre de l’idée selon laquelle il fallait ouvrir la « boite noire », décortiquer et cartographier ce qui passe concrètement à l’intérieur de l’OTAN, d’où l’observation participante que j’ai pu effectuer durant plusieurs mois au Quartier général. Ce que j’ai alors cherché à faire, pour le dire brièvement, c’est de conduire une sociologie de l’international : reconstruire, retracer les contours et logiques de fonctionnement des espaces sociaux et professionnels de l’OTAN qui sont faits de multiples acteurs, des diplomates, des ingénieurs, des militaires de toutes sortes de provenances, des universitaires, des fonctionnaires internationaux, même des industriels de l’armement, et de savoir comment toutes ces interactions transnationales contribuent à façonner les politiques de sécurité de l’Alliance. Je me suis plus spécifiquement concentré sur le cas de la lutte contre le terrorisme comme lieu d’activation de ces logiques et de changement dans l’OTAN. La réponse que j’apporte c’est que l’OTAN est composée de professionnels qui échangent sur différentes perspectives sécuritaires et que cela contribue à transformer de manière majeure la manière dont l’OTAN envisage la sécurité internationale et plus spécifiquement l’exercice de la violence organisée. L’organisation n’est donc pas suspendue seulement à des décisions diplomatiques, des décisions d’États ou des valeurs partagées mais c’est une organisation extrêmement hétérogène dont le cœur d’existence réside dans l’usage et l’articulation socio-professionnelle des savoir-faire sécuritaires, en particulier dans le cadre de la faisabilité de la guerre, de la conduite de la surveillance et de la production d’armements.

TL : Qu’est-ce que le doctorat t’a appris, à la fois d’un point de vue professionnel et d’un point de vue plus personnel, sur le plan humain ?

JP : Du côté professionnel, je dirais que c’est une expérience assez totale parce qu’elle demande énormément de compétences à mobiliser en même temps. Elle demande d’abord de la discipline, être à pied d’œuvre quotidiennement, essayer de lâcher le moins possible ses recherches en ne se dispersant pas trop ailleurs. De ce point de vue, il s’agit aussi d’une volonté d’aller toujours plus loin dans le cheminement intellectuel, de se remettre en question dans ses propres positionnements, la pertinence de ses choix. Ça a été, de ce point de vue, quelque chose de passionnant, de très exigeant et aussi de risqué dans la démarche que j’ai choisie. Le pari initial que j’ai pris de faire une sociologie d’une organisation diplomatico-militaire était loin d’être remporté d’avance. Aller voir les acteurs à l’OTAN, les côtoyer quotidiennement, ouvrir la boite noire, vivre sous la pression du secret politico-militaire en totale immersion, ça a été une expérience fascinante et aussi bien spécifique et exigeante. Mais il faut également, à côté de cette autodiscipline, une sorte d’imagination, il faut être un temps soi peu créatif si l’on veut innover dans la science. Mêler ces différentes compétences ; être rigoureux, discipliné et créatif ; être capable de faire émerger son propre positionnement a fait de ce doctorat une expérience totale car c’est un challenge intellectuel énorme, réflexif, mais ça reste un projet passionnant à mener parce qu’au plus c’est difficile quelque part, au plus c’est intéressant et stimulant.

Du point de vue plus personnel, l’expérience est tout aussi enrichissante car j’ai la chance d’évoluer dans un centre de recherche où l’ambiance est super et où les doctorants sont bien encadrés. Ces 5 années ont été faites de rencontres tout à fait intéressantes aussi bien au sein du centre qu’en dehors des murs lors de conférences, ou de séminaires à l’étranger par exemple. De ce point de vue-là, l’expérience fut donc également très sympathique. Et puis d’autres doctorants de mon centre de recherche sont devenus au fil du temps d’excellents amis.

TL : Une troisième et dernière question est de te demander d’expliquer ce que tu as fait après ta thèse, et ce que tu souhaites faire, devenir à court et moyen terme ?

JP : Tout de suite après ma thèse, j’ai d’abord essayé de prendre un peu de hauteur, de recul par rapport à mon travail car, quand on défend sa thèse tout est mêlé dans notre tête, c’est compliqué de séparer les différents projets qui peuvent en émaner et ce qu’on veut en faire. D’autant plus que l’on reçoit beaucoup de commentaires qu’il faut aussi digérer pour en comprendre la portée. Et puis bon, il y a aussi une bonne fatigue qui est accumulée sur la fin de la thèse, du fait de la rédaction, du stress de la soutenance et de son exigence. J’ai eu une petite période, très brève je dois dire, de pause de manière à prendre un peu de recul par rapport à tout ça. Ensuite, ça s’est vite enchainé. Il y a des candidatures à poser en matière de post-doc’ notamment. A moyen terme, cela reste donc mon projet, l’idée étant de me faire plaisir sur le travail à suivre à partir de la thèse, de réfléchir pour en faire quelque chose de sympa en matière de publications notamment.

TL : Merci beaucoup, encore toutes nos félicitations et nous te souhaitons donc une longue carrière académique