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›  Michaux M., « Les libéraux belges dans l’opposition (1870-1878) : quel impact sur le champ littéraire ? » (ST 16)

Michaux M., « Les libéraux belges dans l’opposition (1870-1878) : quel impact sur le champ littéraire ? » (ST 16)

Michaux M., « Les libéraux belges dans l’opposition (1870-1878) : quel impact sur le champ littéraire ? » (ST 16)

Marianne Michaux (Haute Ecole de Bruxelles / Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes, Belgique)

Si la Révolution belge de 1830 semble avoir eu peu d’incidence sur le champ des lettres, dès les années 40, les libéraux (on soulignera ici le rôle particulier de Charles Rogier) mettent en place une stratégie de conquête/reconquête du pouvoir tendant à s’appuyer sur une fraction du personnel littéraire (qui manifeste par ailleurs déjà des désirs d’indépendance vis-à-vis du politique). Peu à peu s’organise une forme de polarisation du champ littéraire selon une répartition catholiques/libéraux.

A partir de 1857 et jusqu’en 1884, le parti libéral est au pouvoir de manière constante, sauf entre 1870 et 1878 où les catholiques reprennent la main. Parallèlement, on assiste dans les années soixante à l’affirmation grandissante d’une frange progressiste (voire radicale) au sein de ce même parti (à laquelle s’affilient beaucoup de romanciers réalistes). On s’interrogera donc légitimement sur l’impact de cette crise du pouvoir sur la vie littéraire, d’autant qu’à la fin des années septante se tiennent des congrès littéraires (1877 et 1880) et qu’est fondée l’Union littéraire, nouvelle société des gens de lettres. Au vu du préambule de la libérale Revue de Belgique – qui succède en 1869 à la Revue trimestrielle – , on est en effet en droit de se demander si les acteurs de la nouvelle revue n’allaient pas rééditer la stratégie d’avant 1850, puisque Charles Potvin (un de ses directeurs) y affirmait que la revue serait « Progressiste dans la science avec les Plateau, les Houzeau, les Dupont ; progressiste dans la famille et dans l’Etat, avec nos publicistes, avec nos économistes, avec nos romanciers, avec nos poètes ».

La publication de romans à thèse dans la Revue de Belgique pourrait laisser penser qu’effectivement, les romanciers réalistes se sont convaincus de mettre leur plume au service d’une cause, ce que supposent les interventions du principal représentant du mouvement (et son porte-parole), Emile Leclercq, qui donne, dans le journal La Chronique, des signes de radicalisation.

Mais en tant que grande revue libérale, la Revue de Belgique doit faire face à des problèmes internes : pour assurer économiquement sa survie, elle doit ménager toutes les tendances et veiller à ne heurter personne. Le consensus idéologique partagé par ses rédacteurs est minimal : la plupart des romanciers s’y conformeront sagement, car cette revue constitue souvent pour eux la principale instance d’émergence.

Par ailleurs, dès les années cinquante, l’État libéral a mis en place un système d’Aide aux Lettres, qui constitue certainement un des facteurs d’autonomisation croissante du champ littéraire, et qui continue à fonctionner sans perturbations majeures entre 1870 et 1878 (les catholiques le laisseront intact).

De plus, d’autres instances d’émergence et de consécration apparaissent, dont l’épicentre se situe à Verviers, autour duquel gravitent l’Œuvre des soirées populaires (1866) et un éditeur très actif, Ernest Gilon, qui à partir de 1877, publie beaucoup de romanciers belges.

Enfin, une nouvelle génération d’auteurs (Camille Lemonnier), avec d’autres dispositions, commence à prendre la parole. On peut donc provisoirement en conclure que, malgré les vœux pieux de certains intellectuels libéraux dominants (discours hérité d’une autre époque), le champ littéraire a en réalité relativement bien résisté à cette crise, occasion – paradoxale… – de préserver et de renforcer pour les écrivains une position d’indépendance vis-à-vis du champ politique.

Section thématique 16 : Crises politiques et champ littéraire
Session 1 : Autonomisation et recomposition du champ littéraire / Trajectoires individuelles d’écrivains et conjoncture de crise politique, jeudi 10 avril 2014, 10h00-12h30