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ST 5 | Résister à l’Europe, résister avec l’Europe: modalités, pratiques et fondements normatifs

Responsables de la ST : 

  • Romain BLANCANEAUX (Université catholique de Louvain) – romain.blancaneaux@uclouvain.be
  • Marylou HAMM (Université libre de Bruxelles) – marylou.hamm@ulb.be
  • Agathe Piquet (Queen Mary University of London, Paris 2) – a.piquet@qmul.ac.uk

Appel à communications : 

Les résistances à l’Union européenne (UE) semblent rythmer la vie de l’espace politico-administratif européen (Bouillaud, Reungoat, 2014). Qu’elles prennent pour cible sa gestion de crises (Della Porta, Mattoni, 2015), son fonctionnement ordinaire (Robert, 2018) ou un nouveau traité (Crespy, 2008), elles ont en commun d’exprimer des aspirations contrariées, lesquelles supposent une définition alternative du souhaitable. Polymorphes, elles se donnent à voir à différents niveaux, de la résistance individuelle à l’action collective, et peuvent prendre naissance dans différentes arènes, nationales et transnationales, voire au sein des institutions européennes elles-mêmes (Coman, Lacroix, 2007 ; Gainar, Libera, 2013). De même, si elles peuvent s’appuyer sur une certaine définition de la souveraineté, elles sont aussi susceptibles de se fonder sur des représentations collectives européennes, devenant de ce fait des résistances à l’Europe, avec l’Europe (Foret, Calligaro, 2018).

Considérer l’Europe à la fois comme objet de et comme appui à la résistance soulève différentes interrogations : comment des acteur·ice·s individuel·le·s et collectifs résistent à – ou avec – l’Europe ? Au nom de quoi résistent-il·elle·s ? Dans quelle mesure l’Europe offre-elle des ressources pour résister, mais aussi soutenir des politiques européennes ? Quels effets ont-elles sur les acteur·ice·s qui les portent, et ceux qui en sont les cibles ? Pour y répondre, cette section thématique propose de prendre en considération les modalités, lieux et dynamiques des résistances aux politiques européennes, et ce en privilégiant deux choix méthodologiques. Premièrement, cette section ne se limitera pas aux résistances les plus visibles, celles qui atteignent la forme du mouvement social, mais portera une attention symétrique aux plus discrètes, qu’illustre par exemple la désobéissance d’un·e fonctionnaire européen·ne à une injonction de sa hiérarchie. Deuxièmement, un intérêt particulier sera accordé aux représentations collectives, au sens de Durkheim, qui sous-tendent les résistances et sans lesquelles elles ne seraient pas même pensables. L’acte de résister, qu’il s’accompagne ou non de justifications publiques, emporte toujours une forme de politisation. Il peut s’agir de représentations relatives tantôt de l’Europe, tantôt d’autres niveaux (national, par exemple) ou secteurs (économique, universitaire, militaire).

L’approche retenue suit le travail normatif que suppose toute forme de résistance, sans en préjuger ni les lieux, ni les modalités, ni les effets. De cette manière, le·la chercheur·euse se prémunit contre trois biais : celui de la réification (préjuger l’immuabilité de frontières ou d’intérêts), de l’illusion héroïque (la résistance serait le fait de quelques individus ou groupes rationnels ou/et éclairés) et du positionnalisme (associer de façon exclusive un point de vue à une position). Les axes en tiroirs développés dans l’appel (dans/hors des institutions, avec ou sans règles européennes) invitent à considérer des cas rarement pensés ensemble, ou à tout le moins autrement que sur le mode de l’opposition : des mouvements sociaux alter/anti européens et des résistances quotidiennes depuis les institutions ; des critiques réformistes (“changeons l’Europe”) et des critiques radicales (“quittons ou abattons l’Europe”) (Boltanski, 2008). En outre, les résistances ne restent pas sans conséquences, et viennent, dans leurs échecs comme dans leurs succès, plus ou moins transformer en retour les institutions, ce dernier cas pouvant aller jusqu’à créer de nouveaux champs d’action publique ou en modifiant les frontières du légitime (Tarrow, 2000). Finalement, penser ensemble ces cas, en dépassant les frontières de sous-champs universitaires (la sociologie des mouvements sociaux et la sociologie des institutions), ouvre la voie à une meilleure compréhension de l’Europe comme unité politique, dépassant ses traductions institutionnelles.

Transnationale tant sur le fond que dans son mode d’élaboration, cette proposition s’appuie sur des réflexions en cours au Centre Jean Monnet de Montréal, du Groupe de travail Europe de l’association belge de science politique ainsi qu’au sein du Groupe de recherche sur l’Union européenne issu de l’association française de science politique. Le comité scientifique de la section, composé de jeunes chercheur·euse·s inséré·e·s dans ces différents réseaux francophones, sera particulièrement attentif à l’équilibre des papiers présentés en termes de genre, origine géographique, et statut universitaire de leur·s auteur·ice·s. En outre, la focale adoptée appelle, dans une perspective comparatiste, un dialogue entre travaux aux objets et aux cadres d’analyse variés.

Dans l’optique d’interroger les pratiques de résistances à l’Europe, des plus discrètes aux plus visibles, cette section thématique invite des contributions s’appuyant sur des enquêtes de terrain, attentives aux fondements normatifs de ces résistances, aux situations dans lesquelles elles prennent forme, à leurs modalités et à leur portée éventuelle. Deux axes seront alors privilégiés :

          1 / Un premier axe fera place aux recherches portant sur les résistances dans les institutions européennes. a/ D’une part, cette perspective intégrera des cas faisant intervenir des représentations du monde caractérisées d’européennes. On pense par exemple à des résistances de personnels européens avec l’Europe contre des logiques extérieures : que ce soit la lutte contre une concurrence, jugée déloyale, dans les politiques anti-dumping, ou encore l’opposition à une expertise internationale, réputée peu compatible avec le cadre européen. Cependant,  les résistances avec l’Europe peuvent également avoir pour cible  les politiques européennes, par exemple lorsqu’un·e fonctionnaire européen·ne pointe les contradictions de la gestion européenne de la crise économique, ou lorsqu’un·e eurodéputé·e fustige la directive Bolkestein au nom de l’Europe sociale. Un·e europhile convaincu·e peut en effet refuser un ordre lui apparaissant désajusté ou illégitime, au regard même de représentations collectives européennes. b/ D’autre part, ce premier axe considérera  à des cas dans lesquels des acteur·ice·s résistent de l’intérieur en recourant à des règles extérieures à l’espace européen. Cette situation pourrait notamment avoir lieu lorsque des eurodéputé·e·s mettent en cause l’action d’autres institutions européennes, voire de leur propre institution au nom de leurs idées souverainistes ou anti-néolibérales. Cela pourrait aussi être le cas d’acteur·ice·s se référant à des logiques d’autres secteurs, comme les logiques économiques pensées au niveau national, voire international, pouvant potentiellement entrer en contradiction avec les orientations adoptées par les institutions européennes.

       2 / Un deuxième axe traitera des résistances hors des institutions européennes – bien que pouvant entrer en coalition avec elles – selon la même dialectique. Là encore, cette section sera attentive aux résistances sous-tendues par des représentations collectives européennes, puis celles s’en démarquant. a/ Le premier trait s’illustre dans les résistances aux traités de libre-échange tel que le Transatlantic Trade and Investment Partnership, aux instruments de gouvernance économique européenne austéritaires ou aux directives réputées néolibérales, lorsqu’elles prennent appui sur des références qualifiées d’européennes. Des acteur·ice·s (des groupes d’intérêts par exemple) peuvent ainsi trouver au sein d’institutions européennes constituant des arènes politiques, des soutiens spécifiques, voire des courroies de transmission à la défense de leurs positions. b/ Dans le second cas, les résistances politiques à l’Europe hors des institutions rassemblent, de la même manière que dans les institutions, des mouvements interrogeant autant le bien-fondé même du projet européen, que la possibilité de le faire dévier de ses manifestations contemporaines sans en faire table rase. Un mouvement emblématique d’une telle résistance à l’Europe se donne à voir dans les oppositions au traité constitutionnel européen, ou dans les mouvements contre l’austérité après 2010 qui ont essentiellement pris racine au niveau national.

          Cette section invitera à ne pas considérer ces deux axes comme mutuellement exclusifs, mais également leurs interactions et chevauchements. Un même mouvement de résistance peut osciller à la fois entre des représentations collectives européennes et non-européennes : la lutte contre l’austérité en offre une illustration saillante.

[1] Nous entendons par institutions européennes celles qui assurent le fonctionnement de l’UE : Commission européenne, Parlement européen, Conseil européen, Conseil de l’Union européenne, Cour de justice de l’Union européenne, Banque centrale européenne, Cour des comptes européenne, Service européen pour l’action extérieure (SEAE), Comité économique et social européen (CESE), Comité européen des régions (CdR), Banque européenne d’investissement (BEI), Médiateur européen

Bibliographie :

Boltanski Luc (2008), « Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination », Tracés. Revue de Sciences humaines, vol. 1, hors-série n° 08, p. 17‑43. Sur Internet : http://journals.openedition.org/traces/233

Crespy Amandine (2008), « La cristallisation des résistances de gauche à l’intégration européenne : les logiques de mobilisation dans la campagne référendaire française de 2005 », Revue internationale de politique comparée, 15 (4), pp. 589-603

Donatella Della Porta et Alice Mattoni (eds.), Spreading protest: social movements in times of crisis, ECPR Press, 2015, 305 p.

Didier Georgakakis, European civil service in (times of) crisis: a political sociology of the changing power of eurocrats, London, Palgrave Macmillan, 2017, 329 p.

François Foret et Oriane Calligaro (eds.), European values: challenges and opportunities for EU governance, London ; New York, Routledge, Taylor & Francis Group, 2018, 189 p.

Lacroix & R. Coman (eds.), Les résistances a l’Europe. Cultures Nationales, Idéologies et Stratégies d’acteurs, Bruxelles, Editions de l’ULB, pp. 129–154,

Reungoat Emmanuel, Bouillaud Christophe (2013), « Tous des opposants ? De l’euroscepticisme aux usages de la critique de l’Europe », Politique européenne, vo. 1, n° 43, p. 9-45.

Saurugger S., Terpan F. (2012-2013), “Analyser les résistances nationales à la mise en œuvre des normes européennes : une étude des instruments d’action publique”, Quaderni, 80, mis en ligne le 05 janvier 2015, consulté le 05 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/quaderni/666