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L’appropriation régionale des politiques européennes de recherche et d’innovation. Le cas de la Lombardie

  • Pin, Clément  (Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, CEREAL (EA 39 68))

Abstract

La promotion de la gouvernance multi-niveaux par les institutions européennes peut être interprétée comme le développement d’un nouveau paradigme d’action publique prenant acte de la fin du monopole de l’État et des référentiels nationaux. Cette interprétation, qui a été initialement formulée à propos de la politique de cohésion européenne (Hooghe et Marks, 2001), trouve également de quoi se nourrir dans le champ des politiques de recherche et d’innovation. En effet, bien que relevant traditionnellement de la compétence des États, les interventions publiques en matière de recherche et d’innovation ont été très tôt impactées par la construction européenne (Larédo, 2003). D’abord formulée de manière intergouvernementale, l’action portée par les instances européennes s’est peu à peu institutionnalisée et autonomisée au point de faire de la recherche et de l’innovation une compétence partagée de fait par l’Europe et les États. Cette orientation a été particulièrement opérée au tournant des années 2000, avec l’adoption de la stratégie de Lisbonne pour la période 2000‐2010 dont l’objectif était alors de faire de l’Europe, à l’horizon 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».

Ce tournant a néanmoins pris une ampleur plus importante à partir de 2005, date à laquelle un premier bilan négatif de la stratégie de Lisbonne a été établi (rapport d’évaluation à mi‐parcours dirigé par le néerlandais Wim Kok), au moment même où s’engageait la réflexion concernant la programmation des fonds structurels pour la période 2007‐2013. Comme l’a fait remarquer Jean‐Alain Héraud (2009), à partir de ce moment « la politique régionale [a été] largement mise au service de la politique d’innovation ». La question au cœur de la politique régionale européenne n’était alors plus celle de savoir « qu’est‐ce que l’Europe peut faire pour aider les régions ? », mais « qu’est‐ce que les régions peuvent apporter à la compétitivité de l’Europe ? ». Bien que certaines Régions, partout en Europe, s’étaient saisies dès les années 1990 des enjeux de l’innovation, ce n’est que plus récemment que l’implication de l’échelon régional en la matière s’est généralisée.

Nous appuyant sur des données recueillies dans le cadre de notre thèse sur la gouvernance territoriale de l’innovation (Pin, 2015), nous proposons d’étudier, à partir du cas de la Lombardie, comment une Région a cherché à exploiter cette évolution du cadre européen des politiques de recherche et d’innovation comme une ressource pour s’approprier un nouveau champ d’action en se dotant de nouveaux moyens et de nouveaux instruments d’action. Par-delà la richesse économique et la densité sociale du territoire de la Lombardie, notre propos insistera sur la nécessité de prendre en compte les facteurs liés à la dynamique institutionnelle et politique propre à cette Région.

Parmi ces facteurs figure en premier lieu une volonté collective, repérable avant même la véritable naissance des Régions italiennes à statut ordinaire dans les années 1970, d’être, et d’apparaître, à l’avant-garde en termes d’innovation institutionnelle et politique. Cette caractéristique lombarde s’est notamment illustrée dans un souci constamment apporté, depuis la création de la Région, à la réflexion stratégique et à l’institutionnalisation d’une expertise propre en matière de programmation régionale et économique.

La construction plus spécifique de la compétence régionale en matière de recherche et d’innovation s’inscrit dans la continuité et la cohérence de cette culture politique et institutionnelle locale, puisque l’institution régionale a fait preuve d’anticipation et de réactivité dès les années 1980 pour se doter de lois régionales dans ce domaine d’intervention. Il convient néanmoins de prendre la mesure de l’orientation politique régionale propre à la Lombardie, depuis le milieu des années 1990, avec l’arrivée et l’installation durable de Roberto Formigoni à la présidence de la Région (à ce poste sans discontinuer de 1995 à 2012, soit près de 20 ans), pour comprendre la manière dont s’est progressivement structurée l’action de la Région Lombardie en matière de recherche et d’innovation : si elle exprime bien une conception plus fédéraliste de la régionalisation, et une volonté accrue d’autonomie du pouvoir régional à l’égard de l’État, elle n’est véritablement intelligible qu’en référence à l’élaboration d’un « modèle lombard » d’action publique (Bramanti, 2008).

 

Principales références bibliographiques

Bramanti A. (2008), « La programmazione strategica nel modello lombardo : federalismo, sussidiarieta, governance», in Programmazione regionale e sviluppo locale : recenti esperienze in Italia, Firenze, IRPET / AISRe.

Héraud, J.‐A. (2009), « La gouvernance multi‐niveaux de la recherche et de l’innovation dans les régions françaises », in Leresche, J.‐P., Larédo, P., Weber, K., Recherche et enseignement supérieur face à l’internationalisation, Lausanne, Presses universitaires et techniques romandes.

Hooghe L. et Marks G.W. (2001), Multi-level governance and European integration, Lanham, Rowman & Littlefield.

Larédo, P. (2003), « Vers un espace européen de la recherche et de l’innovation », in Mustar, P., Penan, H. (dir.), Encyclopédie de l’innovation, Paris, Economica.

Pin C. (2015), La gouvernance territoriale de l’innovation, entre région et métropole. Une comparaison Ile-de-France / Lombardie. Thèse pour le doctorat de sociologie.