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Décentralisation de la gestion des fonds structurels européens et reconfiguration locale : le cas de Natura 2000 en France

  • Rivière, Camille (Doctorante, Labex TEPSIS – CEMS / EHESS)

Abstract

Cette proposition de communication vise à contribuer à l’étude des transformations de l’action de l’Etat, en particulier dans le domaine de l’environnement. Elle s’appuie sur l’étude de la mise en œuvre, en France, de la politique européenne de protection de la biodiversité, dite Natura 2000. A partir d’une enquête de terrain menée en 2016 au sein d’un parc naturel régional en Provence-Alpes-Côte-D’azur[1], nous analyserons les justifications et conséquences du transfert de l’autorité de gestion des fonds structurels européens sur l’animation des sites Natura 2000[2].

 L’approche utilisée pour mener l’enquête consiste à entrer dans l’analyse des outils mis en œuvre en France pour répondre aux exigences de la directive européenne, dite Habitats[3] », adoptée en 1992. Liant les Etats membres par une obligation de moyens, elle les laisse libres du choix des modalités de mise en œuvre. Nous présenterons donc les différents instruments ayant été élaborés en France : inventaires scientifiques, documents d’objectifs, mesures contractuelles, charte de bonnes pratiques, mais aussi document de reporting du temps de travail des chargés de mission[4]. Nous insisterons sur les conventions socio-politiques dont ces outils sont porteurs. Ce faisant, nous pourrons faire état de l’organisation administrative et des types de gestion qui ont été mis en avant de la phase de délimitation des sites à aujourd’hui. Nous retracerons à la fois la genèse des outils et les transformations qu’ils ont connues, par l’usage mais aussi à l’occasion de transformations du cadre procédural. En effet, depuis 2014, le transfert de l’autorité de gestion des fonds structurels européens vers les régions modifie à la fois les modalités de distribution des fonds,  les jeux d’acteurs et les résultats attendus en terme de protection de la biodiversité.

 L’étude de ce cas permet de faire plusieurs contributions à l’analyse des transformations de l’Etat. Tout d’abord, nous montrons que les outils de gouvernance de Natura 2000 – en particulier les mesures contractuelles – se teintent de façon croissante de principes et de méthodes issus du new public management : sélection par projets suivant des critères prédéfinis et des indicateurs, mise en place d’une évaluation des actions.

Pour comprendre la diffusion de ces méthodes, nous faisons état du rôle conjoint de l’échelon européen et du processus de décentralisation. En effet, la transformation des outils suit la redéfinition du cadre des financements européens avec la nouvelle programmation 2014-2020 des fonds structurels européens. Justifié par des impératifs de transparence et de mise en concurrence, présentés comme corollaires de la bonne utilisation des deniers publics européens, le cadre européen apparaît comme un agent prescripteur, encourageant de nouveaux outils, de nouvelles procédures correspondant à ces nouvelles justifications.

 Nous voyons également que cet impératif européen prend corps en France par un nouveau mouvement de décentralisation de la politique de l’environnement. L’évolution de la mise en œuvre de Natura 2000 semble, dès ses débuts, indissociable d’un mouvement de déconcentration puis de décentralisation de l’action publique. Cependant, nous montrons que la décentralisation de l’autorité de gestion des fonds européens donne l’occasion de renégocier localement (bien que nécessitant une validation nationale) les modalités de mise en œuvre des outils liés à Natura 2000 et favorise de fait, l’approfondissement d’une tendance néo-manageriale au sein de l’action publique.

 Ces transformations nous permettent de réinterroger le sens de la politique de protection de la biodiversité. Jusqu’à présent, elle était appréhendée localement – à la fois par les services déconcentrés de l’Etat et par les chargés de mission Natura 2000 – comme une politique d’aménagement du territoire. En témoigne sa structuration initiale autour d’un zonage disposant d’un animateur dédié et d’un organe collégial de décision. Les nouvelles modalités d’animation et règles de financement en fragilisant l’emploi public dans ce secteur (recours aux CDD voire à des bureaux d’études) tendent à opérer un découplage entre protection de la biodiversité et politique territoriale – et interroge l’ancrage de l’acteur public au niveau local en matière de protection de l’environnement.

[1] Cette enquête repose sur une vingtaine d’entretiens auprès de divers acteurs (notamment les services déconcentrés de l’Etat au niveau départemental et régional), cinq mois d’observation ethnographique ainsi que l’étude d’archives.

[2] L’animation d’un site Natura 2000 est prise en charge par une collectivité ou un parc naturel et repose sur différentes missions, rassemblées dans un document de référence dit « document d’objectif », et mises en œuvre par le « chargé de mission Natura 2000 ».

[3] Il s’agit de la direction pour la conservation des habitats naturels ainsi que la faune et la flore sauvages. Elle suit et complète une première directive européenne de 1979  concernant la protection des oiseaux sauvages.

[4] Ce tableau est une spécificité de la région PACA, établi par le service biodiversité du service déconcentré de l’Etat (DREAL, à l’époque DIREN)