loader

›  Contrôler l’Europe pour mieux contrôler l’Etat ? La Commission interministérielle de coordination des contrôles comme espace de socialisation à l’audit et au contrôle financier

Contrôler l’Europe pour mieux contrôler l’Etat ? La Commission interministérielle de coordination des contrôles comme espace de socialisation à l’audit et au contrôle financier

  • Lebrou, Vincent  (Université de Strasbourg – SAGE / Université de Lille 2 – CERAPS)

Abstract

Créée en 1993 sur décret du Premier ministre, la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) occupe aujourd’hui une place centrale dans la mise en œuvre de la politique régionale de l’Union européenne en France. Elle est chargée de superviser l’ensemble des contrôles dont ses deux principaux fonds – Fonds social européen et Fonds européen de développement régional, soit 14 milliards d’euros pour la période 2014-2020 – font l’objet. En tant qu’autorité d’audit nationale, la fonction principale de la CICC consiste à « donner l’assurance à la communauté que les fonds sont utilisés comme ils doivent l’être » selon les mots de l’un des membres de la Commission. Elle occupe ainsi une position charnière. Elle se situe entre les instances communautaires, à qui elle rend compte de la façon dont les fonds ont été gérés pendant, et l’ensemble des acteurs concernés par ces fonds et à destination desquels elle médiatise les injonctions des institutions européennes en matière de contrôle des dépenses.

Notre communication propose d’étudier la trajectoire de cette Commission, de sa création au début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, ainsi que son mode de fonctionnement. L’analyse de cette instance intermédiaire à partir du travail qu’y effectuent ses membres nous informe sur l’influence qu’exerce Bruxelles sur les pratiques nationales en termes de contrôle et d’audit des dépenses publiques. Nous mobilisons dans le cadre de cette communication 15 entretiens semi-directifs menés dans le cadre d’une thèse en science politique avec des membres de cette Commission et des contrôleurs situés en région.

Notre attention se portera tout d’abord sur la structure même de la Commission. Elle est composée de quatorze membres principalement issues des principaux corps d’inspection de l’Etat (Inspections générales des finances, des affaires sociales, de l’administration…). Nommés pour une durée de trois ans, ils ne font le plus souvent qu’un passage dans le domaine des financements européens. Acteurs intermittents du processus communautaire, ils envisagent le plus souvent leur mission au sein de la CICC comme un moment d’apprentissage de pratiques considérées comme plus strictes que celles en vigueur dans leurs corps respectifs. L’Europe est alors perçue par ces contrôleurs comme un vecteur de socialisation à de nouvelles pratiques destinées à être mobilisées plus tard dans leurs missions d’inspection des administrations de l’Etat.

Un second niveau d’analyse portera sur les contrôleurs situés en région. La CICC ne se limite pas à ses quatorze membres. Elle dispose d’un réseau de contrôleurs situés en région agissant au quotidien au sein des administratives selon ses prérogatives. Désormais abrités par les Conseils régionaux, ces acteurs jouent un rôle essentiel dans le contrôle des fonds structurels européens. Nous développerons plus particulièrement deux points. Nous nous intéresserons d’abord aux désaccords susceptibles d’émerger entre leur travail de vérification « sur le terrain » et les injonctions générales de la CICC, les deux étant parfois contradictoires. Un second point de notre analyse portera sur les effets de socialisation qu’exerce le travail de ces contrôleurs sur les acteurs chargés d’attribuer les fonds européens. Souvent redoutée, leur intervention, effective ou potentielle, suscite de nombreuses réactions de la part d’acteurs qui y voient l’occasion d’adapter leurs pratiques de gestion aux préceptes du New Public Management de manière parfois anticipée.