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›  Construction européenne et institutionnalisation des sciences sociales. Les sciences politiques et sociales à l’Institut Universitaire Européen (1976-1985)

Construction européenne et institutionnalisation des sciences sociales. Les sciences politiques et sociales à l’Institut Universitaire Européen (1976-1985)

  • Boncourt, Thibaud (Institute for Advanced Study, Central European University (jusqu’en décembre 2016) / METICES, Université libre de Bruxelles (à partir de janvier 2017))

Abstract

L’intégration européenne est très tôt associée à des processus de production de connaissances. Dès la fin des années 1940, les sciences, l’éducation et la culture sont identifiées comme des domaines d’action importants pour la promotion et la légitimation du projet européen. La création du Collège d’Europe à Bruges, le financement de programmes cadres de recherche et développement (PCRD) et la fondation de musées de l’Europe sont ainsi autant d’instruments mobilisés par les institutions européennes pour intervenir dans ces secteurs. L’ouverture, en 1976, d’un Institut Universitaire Européen (IUE) à Florence compte parmi ces instruments. Conçu, selon les termes de sa convention fondatrice, pour « faciliter le progrès du savoir dans des secteurs qui présentent un intérêt particulier pour le développement de l’Europe, notamment sa culture, son histoire, son droit, son économie et ses institutions », l’IUE nait autour de quatre départements : droit ; économie ; histoire et civilisations ; et sciences politiques et sociales (SPS).

La genèse et le développement de cette nouvelle institution ne vont pas de soi : ils impliquent d’articuler l’agenda politique à un projet scientifique, et d’inventer des structures et un mode de fonctionnement pour un Institut dont le caractère transnational est inédit. Ils posent ainsi la question des interrelations entre formation d’un gouvernement européen et développement des disciplines, dans un contexte où s’imbriquent des enjeux nationaux et transnationaux. En se focalisant sur l’étude de ces interrelations, cet article analyse l’institutionnalisation d’un lieu de production de connaissances sur l’Europe.

L’argumentaire se concentre sur les dix premières années du département SPS. Il mobilise un matériau qualitatif tiré des archives de l’IUE, d’un fonds privé, et d’entretiens avec d’anciens ou actuels professeurs du département. Il soutient l’idée que l’Europe peine à s’imposer comme un enjeu central des débats et activités scientifiques du département. Ce dernier est plutôt constitué, au cours de la période étudiée, comme un terrain de luttes paradigmatiques et disciplinaires. Dans un contexte dans lequel les standards intellectuels de la science politique sont mal stabilisés, des professeurs formés dans différents champs nationaux cherchent à imposer à l’IUE leur propre conception de la discipline. Des oppositions émergent aussi entre politistes et sociologues pour le contrôle disciplinaire du département. Les rapports de forces spécifiques au champ scientifique relèguent ainsi au second plan l’agenda politique des institutions européennes, soulignant par là les difficultés de ces dernières à intervenir dans les champs de production de connaissances.