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›  Gay R. et Juven PA., « Tenir les dépenses de l’assurance maladie » : le tarif comme instrument de gouvernement des hôpitaux » (ST 9)

Gay R. et Juven PA., « Tenir les dépenses de l’assurance maladie » : le tarif comme instrument de gouvernement des hôpitaux » (ST 9)

Gay R. et Juven PA., « Tenir les dépenses de l’assurance maladie » : le tarif comme instrument de gouvernement des hôpitaux » (ST 9)

Renaud Gay (Institut d’Etudes Politiques de Grenoble /Université de Rennes I, France)

Pierre-André Juven (Centre de Sociologie de l’Innovation / Mines Paristech, France)

La maîtrise des dépenses d’assurance maladie est un objectif politique continuellement réaffirmé par les autorités publiques françaises depuis le ralentissement économique des années 1970 (Palier, 2005).A cette fin, plusieurs réformes centrées sur la dimension financière des politiques de santé ont été adoptées dans les années 1990 institutionnalisant un référentiel de marché acclimaté à la spécificité du secteur sanitaire (Serré, 2002). La politique hospitalière connaît plus particulièrement, au cours des années 2000, un tournant néolibéral (Pierru, 2012). Plusieurs réformes comme le Plan Hôpital 2007 et la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires redéfinissent en profondeur les objectifs de la politique hospitalière et consacrent une vision entrepreneuriale de l’hôpital. Ce changement paradigmatique des politiques hospitalières se retrouve dans le récent rapport de la cour des comptes de septembre 2013 qui voit dans les hôpitaux un « gisement de productivité » et donc d’économies potentielles (Cour des Comptes, 2013). Depuis 2007, les différentes lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) abondent dans ce sens. Le respect d’un « objectif national des dépenses de l’assurance maladie » (ONDAM) est devenu une priorité, ceci non seulement pour des raisons comptables mais aussi car « il en va de la souveraineté de la France » dans un contexte d’interdépendance croissante des économies nationales. Les différents ministres se succédant et présentant les Projets de loi de financement de la sécurité sociale le soulignent, si l’ONDAM doit être tenu et si des économies doivent être faites sur les finances hospitalières, ceci est d’autant plus vrai en « temps de crise ».

Notre communication propose d’explorer l’instrumentation (Lascoumes, Le Galès, 2004) d’une politique de « redressement des comptes sociaux » en se focalisant sur le cas hospitalier. Il s’agit non pas d’étudier le changement de paradigme des politiques hospitalières mais de nous pencher sur l’émergence et la stabilisation d’une nouvelle technologie de gouvernement qui s’apparente à un changement de deuxième ordre, expression et consolidation d’un changement de troisième ordre (Hall, 1993). Cette politique comptable repose principalement sur un instrument tarifaire, appelé « tarification à l’activité » ou T2A, permettant à l’État de tenir les dépenses annuelles des établissements de santé publics ou privés. La T2A vise à rémunérer les hôpitaux et cliniques en fonction de leur activité à partir de tarifs correspondant à des « groupes homogènes de malades ». Elle est appliquée à toutes les activités des établissements privés en 2005 et est progressivement mise en place dans le secteur public depuis 2004, jusqu’à une couverture complète des activités de court séjour en 2008. Initialement programmée en 2012, la convergence tarifaire des secteurs public et privé a été abandonnée par le gouvernement Ayrault. L’objectif de notre communication est d’étudier le processus d’institutionnalisation de l’instrument T2A et de montrer comment ce dernier s’est progressivement imposé dans les années 2000 jusqu’à devenir l’outil central de gouvernement des hôpitaux au détriment d’autres instruments comme la planification.

Premièrement, la T2A est portée par une communauté administrative et épistémique que la mise en œuvre et la maintenance de l’instrument consolident et au sein de laquelle se confondent savoirs économiques autour de la tarification et pratiques administratives de l’instrument. Composée d’acteurs administratifs dotés d’importantes ressources techniques et de représentants des élites hospitalières, cette communauté est caractéristique d’une bureaucratie autonome mais intégrée dans la société civile (Evans, 1995). La centralité et la permanence de cette communauté dans l’instrumentation du gouvernement des hôpitaux expliquentla place centrale qu’acquiert la T2A dans la régulation hospitalière ainsi qu’une forme de continuité dans l’usage du tarif à des fins de maîtrise des dépenses. Cette continuité d’usage s’explique également par un objectif commun aux gouvernements de droite et de gauche de faire preuve d’une gestion rigoureuse des deniers publics (Leroy, 2007).

Deuxièmement, l’apparente continuité dans l’usage de l’instrument ne doit pas masquer les conflits entre groupes d’intérêt entourant la mise en œuvre de la T2A. Ces derniers jouent un rôle prépondérant dans l’élaboration annuelle des tarifs dans la loi de financement de la sécurité sociale dont la discussion parlementaire apparaît comme un sensible « point veto » (Tsebelis, 2002). Les fédérations hospitalières, à savoir principalement la Fédération de l’Hospitalisation Privée et la Fédération Hospitalière de France, engagent d’importants investissements politiques et techniques dans la définition de la politique tarifaire en vue de définir des niveaux de tarifs en leur faveur. L’action des groupes d’intérêt a ainsi un impact significatif sur la mise en œuvre de la T2A et peut faire apparaître des formes de discontinuité dans l’usage de l’instrument.

Notre communication s’appuie sur les enquêtes conduites dans le cadre de nos deux recherches doctorales. Plus précisément, nous nous appuyons sur une série d’entretiens semi-directifs avec des hauts fonctionnaires du ministère de la santé et des représentants des fédérations hospitalières, sur l’exploitation d’archives déposées au Centre des Archives Contemporaines et au ministère de la santé, ainsi que sur la lecture de la presse professionnelle et des dossiers de presse de bibliothèque de la fondation nationale des sciences politiques.

Section thématique 9 : Crises et réinstitutionnalisation des politiques sociales
Session unique, jeudi 10 avril 2014, 10h00-12h30