{{'POUR_AMELIORER_VOTRE_EXPERIENCE' | translate}}. {{'EN_SAVOIR_PLUS' | translate}} ›
›
L’ABSP› Béraud M., Feriel E. et Higelé JP., « La continuité dans le changement : l’activation du revenu minimum en France sous le vernis de l’innovation sociale » (ST 9)
Béraud M., Feriel E. et Higelé JP., « La continuité dans le changement : l’activation du revenu minimum en France sous le vernis de l’innovation sociale » (ST 9)
Béraud M., Feriel E. et Higelé JP., « La continuité dans le changement : l’activation du revenu minimum en France sous le vernis de l’innovation sociale » (ST 9)
Mathieu Béraud (Université de Lorraine, France) Emilie Feriel (Université de Lorraine, France) Jean-Pascal Higelé (Université de Lorraine, France)
Le dispositif de revenu minimum en France a connu à la fin des années 2000 une redéfinition présentée par ses promoteurs comme rupture par rapport aux modalités précédentes du revenu minimum. Le nouveau dispositif, rebaptisé revenu de solidarité active (RSA), se substitue donc au revenu minimum d’insertion (RMI) et à l’allocation de parent isolé (API) avec l’ambition d’être le porteur d’une « nouvelle équation sociale » résumée par ses concepteurs (Hirsch, 2005) en ces termes : « chaque heure travaillée doit se traduire par une diminution des prestations inférieure à ce que rapporte le travail ». La logique qui gouverne la réforme consiste à considérer que l’émergence d’une nouvelle forme de pauvreté, la pauvreté laborieuse, rend obsolète les modalités antérieures de prises en charge de la pauvreté conçues à la fin des années 1980 pour répondre aux situations de chômage de longue durée et d’exclusion. La loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA (une phase d’expérimentation avait précédé la loi)se veut porteuse d’une double innovation.
Premièrement, elle se présente comme une innovation substantielle. Elle vise à supprimer les effets de seuil repérables dans le RMI, ces derniers impliquant une baisse de revenu lors de la reprise d’emploi. C’est la « nouvelle équation sociale »dont la traduction passe par la mise en place d’un complément de revenu permanent pour les personnes reprenant ou occupant un emploi à faible salaire(RSA activité) , les personnes sans emploi continuant à percevoir un minimum social (le RSA socle, qui correspond en montant à l’ex-RMI) .Parallèlement, le dispositif d’accompagnement privilégie une optique de retour à l’emploi des allocataires, la loi imposant l’intermédiaire public de l’emploi comme nouvel acteur majeur de la prise en charge des allocataires.
Deuxièmement, la loi promeut une innovation procédurale, par révision du mode d’administration du droit au revenu minimum. Après une première phase de décentralisation en 2003, la loi institue en 2008 le conseil général comme véritable maitre d’œuvre du dispositif. L’idée développée est de proposer une prestation globale aux familles en situation de pauvreté, qui articule et donc dépasse le cloisonnement des institutions concernées (Etat, Région, Conseil général, services sociaux communaux, Pôle emploi, caisse d’assurance-maladie, caisse d’allocations familiales, associations, etc.) selon leur champ de compétence (formation, emploi, logement, santé, famille, etc.). Au-delà, l’innovation procédurale vient de la volonté d’expérimenter le dispositif et de l’évaluer avant de le mettre en œuvre (Gomel et Méda, 2011).
L’analyse empirique effectuée montre que le renouvellement des modalités de l’accompagnement social et professionnel lié à l’instauration du RSA, sans être dénué d’originalité, n’apparaît pas transformer le contenu des mesures mises en place. Il se traduit par le recours à des dispositifs préexistants, qu’il s’agisse du droit commun du service public de l’emploi, incluant des mesures pour les publics en difficulté, ou de l’accompagnement social dans les services départementaux. Concernant l’accompagnement professionnel, la nature des dispositifs s’inscrit dans la généralisation de la logique classique d’activation des chômeurs, dont les modes d’action sont centrés sur l’offre de travail : repérage des freins à l’emploi, de la distance à l’emploi et accompagnement, pour lever ces freins, centré sur l’employabilité des personnes. On retrouve cette continuité y compris dans le cas de dispositifs expérimentaux multi partenariaux présentés comme innovants (comme en Meurthe-et-Moselle), dont l’originalité est surtout de répondre au mille-feuille administratif plutôt que de modifier la nature de l’accompagnement.
Au final, la principale transformation engendrée par le RSA constitue ses formes organisationnelles. L’objectif de retour à l’emploi, renforcé dans la loi de 2008, impose aux départements de procéder à une reconfiguration institutionnelle et procédurale importante, ce qui a eu pour effet un repositionnement des différents acteurs territoriaux de l’insertion sociale et professionnelle tout au long des parcours d’insertion. Mais ces transformations sont toutefois largement soumises à des effets de path dependency, dans le sens où les acteurs en présence, s’ils occupent des places différentes entre l’administration du RMI et celle du RSA, restent le plus souvent les mêmes, y compris lorsqu’il n’existe aucune injonction légale à les inclure dans le partenariat. Selon cette perspective, la mise en place du RSA correspond davantage à une transformation de la division du travail qu’à une innovation procédurale.
Le RSA apparait donc comme venant renforcer la logique à l’œuvre de mutation des politiques sociales dans le sens de leur instrumentalisation au service du marché du travail, en cela qu’elles doivent être l’outil de la mise en conformité de l’offre de travail aux exigences supposées de la demande de travail. Cette réforme s’inscrit donc dans le temps long de l’activation de la protection sociale promue depuis 30 ans en France, en Europe et dans les institutions internationales. Par contre, le RSA n’est pas une réponse politique à la crise, puisque le dispositif est imaginé antérieurement par la commission Hirsch, en 2005. Mais le RSA nous intéresse pour interroger l’hypothèse d’une transformation du référentiel des politiques sociales par la crise pour une raison particulière : en cherchant à introduire une conception renouvelée du problème de la pauvreté et de sa prise en charge par le revenu minimum, la réforme RSA s’inscrit dans la représentation européenne de l’innovation sociale, terme précisément réactivé par la Commission européenne depuis la crise de 2008. Dans les objectifs d’Europe 2020 (Commission européenne, 2010), l’innovation sociale acquiert même une relative autonomie vis-à-vis de l’innovation technologique, et devient un « outil » à part entière pour atteindre ce que la Commission désigne comme la « croissance intelligente » et la « croissance inclusive » . Dans ce cadre, l’innovation sociale apparaît comme élément performatif au service de la croissance et de l’emploi en revêtant une conception large. En effet, elle ne renvoie pas nécessairement à un caractère de nouveauté, elle vise à transformer et à normaliser les modes d’administration des politiques sociales, à favoriser les méthodes d’évaluation et d’expérimentation, ainsi qu’à développer une logique ascendante (bottom-up) de recomposition des liens entre les acteurs sur les territoires. Ces caractéristiques se retrouvent précisément dans la réforme du RSA.
La réponse à la crise est donc en quelque sorte déjà pensée avant la crise. On peut dès lors avancer que la mobilisation de l’innovation sociale a essentiellement une vocation rhétorique de valorisation et de légitimation d’une action politique avant tout marquée par une invariance des principes qui la gouvernent. Sur le fond du dispositif RSA comme sur les modes d’administration du droit, si on observe des éléments de rupture ou au moins de changement, ceux-ci s’inscrivent en fait dans la continuité des politiques de prise en charge du chômage et de la pauvreté (Askenazy, 2011). On peut conclure à un changement dans la continuité :les objectifs d’activation qui s’appliquent aux allocataires du revenu minimum se radicalisent, en même temps que leurs modes de traitement s’étendent de la population des chômeurs indemnisés à ces allocataires. Une fois gratté le vernis de l’innovation sociale, en matière de réforme du revenu minimum, mais plus largement concernant les transformations depuis la crise de 2008 des régimes de protection sociale et des formes d’institutions du marché du travail, le cas français plaide davantage pour une analyse en termes de continuité de la mise au service du marché du travail des politiques sociales que pour une analyse en termes de rupture. Paradoxalement, le mouvement de réinstitutionalisation des politiques sociales ne se trouve donc nullement impacté par la crise autrement que de manière rhétorique et légitimatrice, comme si le réel n’informait pas la manière de penser l’orientation des politiques sociales.
Section thématique 9 : Crises et réinstitutionnalisation des politiques sociales
Session unique, jeudi 10 avril 2014, 10h00-12h30
- ACCUEIL
- L’ABSP
- Groupes de travail
- Règlement organisant l’activité des groupes de travail
- Action publique
- Démocratie
- Elections, partis & opinion publique
- Europe
- Fédéralismes, régionalismes & décentralisations
- Genre & politique
- Mémoire et Politique
- Méthodes de recherche
- Migration, diversité culturelle et politique
- Questions sociales – Conflits sociaux
- REGIMEN
- Sociologie politique internationale
- Théorie politique
- PUBLICATIONS
- PRIX & SOUTIEN
- Événements
- EDT SCIENCE PO
- Contact