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Schu A., « Quel modèle pour les interventions occidentales : vers une guerre à distance et par procuration » (ST 17)

Schu A., « Quel modèle pour les interventions occidentales : vers une guerre à distance et par procuration » (ST 17)

Adrien Schu (Université Montesquieu – Bordeaux 4, France)

L’avènement du « Printemps arabe » a eu pour conséquence le développement de crises humanitaires et sécuritaires dans certains pays du sud et de l’est de la Méditerranée. Celles-ci n’ont pas laissé insensibles les responsables politiques occidentaux et ont pu constituer des motifs d’intervention militaire.

La forme prise par ces interventions, en Libye et au Mali, reflète la prise en compte d’un certain nombre de contraintes pesant sur le recours à la force armée. Après une décennie caractérisée par les guerres insurrectionnelles d’Irak et d’Afghanistan, les gouvernements occidentaux se sont opposés à un engagement militaire massif avec une forte empreinte au sol. Qui plus est, la baisse des budgets consacrés à la défense, continue depuis la fin de la Guerre froide dans les pays européens, est encore accentuée aujourd’hui dans un contexte de crise économique, limitant les moyens disponibles. Enfin, les responsables politiques, européens et américains, craignent de perdre le soutien d’opinions publiques réputées pour leur aversion aux pertes ainsi que leur extrême impatience.

Dans ce contexte, les dirigeants occidentaux souhaitent pouvoir mener des interventions qui soient peu coûteuses humainement, matériellement et financièrement, et qui puissent être brèves. Stephen Biddle évoque la recherche d’un modèle d’ « intervention bon marché ».

L’objectif de cette contribution est d’étudier les formes d’intervention militaire privilégiées aujourd’hui par les responsables politiques occidentaux, en s’appuyant sur une étude des cas libyen et malien.

Il convient de noter en premier lieu la volonté forte de limiter le déploiement de forces conventionnelles au sol. Il s’agit là d’une rupture par rapport aux modèles passés du recours à la force. Cette volonté est clairement affichée dans le document cadre énonçant les nouvelles orientations stratégiques du Ministère de la défense américain, publié en janvier 2012 : « A la suite des guerres en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis vont privilégier les moyens non-militaires et la coopération entre forces armées pour gérer les situations d’instabilité et réduire la nécessité d’un engagement significatif des forces américaines dans des opérations de stabilisation. Les forces américaines seront néanmoins prêtes à conduire des opérations limitées de contre-insurrection et de stabilisation si besoin est, opérant où que possible au sein d’une coalition. […] Toutefois, les forces américaines ne seront plus dimensionnées pour mener des opérations de stabilisation prolongées et à grande échelle ».

Concrètement, cette volonté s’est traduite, lors des interventions en Libye et au Mali, par la mise en œuvre d’opérations reposant sur trois éléments caractéristiques :

(1) La destruction à distance. Les Occidentaux privilégient le recours à l’arme aérienne (avions de combat « classiques » et drones), dans la continuité des réflexions américaines sur la « révolution dans les affaires militaires » : l’ennemi, repéré grâce aux capacités modernes de détection, est détruit à distance par des frappes de plus en plus précises. S’appuyant sur l’avance technologique occidentale, et réduisant le risque de pertes alliées, l’arme aérienne exerce une indéniable « attirance » sur les Occidentaux, qu’évoquait déjà McInnes après la guerre du Kosovo.

(2) Le rôle accru des forces spéciales . Celles-ci jouent un rôle de plus en plus prééminent lors d’intervention militaire conventionnelle : en Libye, elles étaient chargées de faciliter les frappes aériennes et d’aider les rebelles en termes d’entraînement et de planification ; au Mali, elles ont été en première ligne, participant à la reconquête des villes du nord malien. Un chiffre illustre bien la volonté des gouvernements de s’appuyer de plus en plus sur les forces spéciales : leurs effectifs, au sein de l’Armée de terre américaine, ont plus que doublé depuis le 11 septembre 2001.

(3) La recherche d’alliés locaux . Il semble que ce dernier élément – la volonté de s’appuyer sur des alliés locaux – soit en train de s’affirmer comme la principale caractéristique des interventions militaires occidentales. En Libye, l’opération alliée a été conçue en soutien aux rebelles anti-Kadhafi : les Occidentaux ont recouru à l’arme aérienne et aux forces spéciales en appui aux combattants du Comité national de transition (CNT). Le succès militaire de cette opération a conduit à l’émergence d’un discours célébrant le « modèle libyen » de l’intervention . Dans un article pour la revue Foreign Affairs, le représentant des États-Unis auprès de l’OTAN, Ivo H. Daalder et le commandant suprême des forces alliées en Europe, l’amiral James G. Stavridis écrivent ainsi que « l’opération de l’OTAN en Libye a été saluée, à juste titre, comme une intervention exemplaire ».

Cette même tendance à vouloir s’appuyer sur des alliés locaux se retrouve, sous une forme différente, au Mali, ainsi qu’en Afghanistan. Sur ces deux théâtres, l’objectif est désormais un transfert rapide du contrôle de la sécurité aux forces nationales (« afghanisation ») ou régionales (Minusma). Cet objectif traduit la volonté des responsables occidentaux de ne pas s’engager dans des opérations terrestres à long terme. Souhaitant tourner la page des mésaventures irakiennes et afghanes, ils prônent plutôt un modèle d’intervention ponctuelle, à court terme, conduite de préférence de façon aérienne avec une faible empreinte au sol ; la gestion de la phase dite de « stabilisation » devant être confiée à des alliés locaux. Le chef d’état-major de l’armée française, l’amiral Guillaud, a théorisé cette évolution doctrinale : « Nous devons être capables d’intervenir rapidement, puissamment, là où c’est nécessaire. Cela ne veut pas dire que nous devons forcément rester. On utilise souvent l’expression ‘‘hit and run’’. Pour nous, historiquement cela a parfois été ‘‘hit and stay’’. Je pense que nous pouvons changer de paradigme et faire du ‘‘hit and transfer’’ ».

En conclusion, l’objectif de cette contribution est de mettre en évidence la tendance constatée, tant dans les doctrines des armées occidentales que lors des opérations conduites en Libye et au Mali, à privilégier des modes d’intervention limitée. Cherchant à réduire le déploiement de forces conventionnelles au sol, les Occidentaux souhaitent pouvoir conduire des guerres à distance et par procuration.

Section thématique 17 : Crises politiques et champ littéraire
Session 2 : Missions de paix, interventions internationales et contagions transfrontalières dans le contexte des crises du monde arabe, vendredi 11 avril 2014, 13h30-16h00