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Présentation du thème

Présentation du thème

Political science traditionally studies politics and political dynamics by focusing on political actors and institutions. Who governs ? How do elections impact political actors’ strategies and alliances ? What are the relevant political institutions and how do they evolve ? What is the nature and role of international or supranational political institutions ? The governed population often stays in the shadows. This international conference aims at assessing the diverse ways in which the discipline analyses the political behaviour of the governed, its role and status.

La science politique centre traditionnellement ses objets d’étude sur le phénomène du pouvoir politique dans les sociétés contemporaines en privilégiant l’angle des acteurs politiques et institutionnels. Qui gouverne ? Pour quoi faire ? Quelles sont les institutions qui forment l’État ? Quelle est la teneur des politiques publiques ? Comment se renouvelle la classe politique à travers le jeu électoral ? Quels sont les États qui comptent sur le plan de la politique internationale ? Comment se constituent des pouvoirs politiques supranationaux ?

La population gouvernée, quant à elle, semble souvent être un objet de l’ombre dont l’étude est généralement réservée aux spécialistes de l’opinion publique ou des études électorales. Sauf à quelques moments épisodiques où les spots médiatiques l’éclairent : ce n’est qu’à l’occasion de scrutins électoraux ou de référendums que l’on s’intéresse à l’électorat, à l’opinion publique, masse sans visage que l’on s’attend à être capricieuse, indécise jusqu’à la dernière minute, voire malavisée. À d’autres rares moments aussi, le peuple conteste, menace, surprend : l’on s’aperçoit alors qu’il peut être un acteur politique sur lequel il faut compter. Cette question est pourtant au cœur d’une dimension fondamentale de la chose publique, celle de la légitimité des acteurs, des institutions et des politiques menées.

À l’occasion de ce Congrès international, réunissant cinq associations francophones de science politique, ainsi que des politologues invités venant notamment d’autres continents que l’Europe, il a semblé important à l’ABSP-CF, d’offrir l’occasion de faire le point sur les multiples façons dont notre discipline analyse le comportement politique des gouvernés mais aussi plus généralement le statut accordé à ceux-ci et le traitement politique dont ils font l’objet.

L’objectif sera de saisir les acquis de la science politique dans ce domaine mais aussi ses nouveaux agendas de recherche et les pistes encore à explorer, sans oublier de relever les apports et les enrichissements que la science politique reçoit d’autres disciplines proches. Le Congrès de l’ABSP-CF en 2008 avait ainsi mis à l’honneur ses liens avec les sciences du journalisme et de la communication. Le thème retenu pour ce nouveau Congrès nous permettra en particulier d’ouvrir le dialogue avec la sociologie, l’histoire, la psychologie et l’économie. Chacune de ces disciplines peut offrir un éclairage original et utile sur le rôle, le statut, les stratégies ou les perceptions des gouvernés.

Être gouverné dans un État-nation en mutation ?

Il est de prime abord intéressant de se demander comment cet objet d’étude est aujourd’hui encore saisissable :

dans un contexte de larges transformations politiques.
La souveraineté de l’État s’est profondément transformée. Celle-ci reposait, dans la conception de l’État-nation moderne, sur la légitimation populaire obtenue par l’élection de représentants au suffrage universel. Or aujourd’hui, les États sont soumis à des tensions à la fois interne et externe : ils font face à un besoin d’interdépendance accru entre États tout comme à des tentatives de créer des « Etats-Régions », comment dès lors leur rapport à leur population en est-il modifié ? Comment évolue le statut politique des gouvernés ? Le contrat social est-il transférable dans des cadres politiques ou plus larges comme celui de l’Union européenne ou plus restreints ? Si les matières politiques deviennent de plus en plus « transnationales » (exemple des défis écologiques), quels nouveaux liens peuvent-ils se créer entre gouvernants et gouvernés ?

dans un contexte où l’économie remodèle les rôles et les frontières physiques des États.
La mondialisation de l’économie fait apparaître le rôle déterminant acquis par d’autres acteurs (les firmes transnationales, les organisations économiques mondiales, les banques commerciales…) dans la fixation des grandes orientations de politique économique. Le contrôle et la publicité démocratiques autour des politiques menées par les gouvernants étaient des points nodaux de l’organisation politique nationale : comment des contrôles démocratiques peuvent-ils être aujourd’hui instaurés face à ce nouveau contexte ? En outre, les frontières des États, devenues « lâches » avec la libre circulation à caractère économique au sein de l’espace économique européen par exemple, se durcissent au contraire dans d’autres endroits du monde. Quels sont les effets de ces jeux de frontière sur le sentiment d’appartenance à une nation ? Qu’est-ce par exemple qu’être « roumains » quand plus de la moitié de la population active de ce pays travaille dans d’autres pays ? Les « immigrés » d’aujourd’hui sont-ils en passe de devenir des « apatrides » ? ;

dans un contexte où d’autres sources d’identification rivalisent de plus en plus avec le sentiment d’appartenance à une communauté politique.
Le rapport à la religion, à la langue, à la tradition, à la culture semble aujourd’hui bouleverser les anciens rapports politiques à la nation. Ainsi y a-t-il encore un « peuple » belge ? Peut-on parler d’un « peuple musulman » ou d’un peuple « catholique » qui transcenderaient les frontières politiques ? Quels rapports politiques se constituent-ils entre gouvernants et gouvernés dans un contexte marqué par le « multiculturalisme » ?

Comment nommer les gouvernés ?

La dénomination, en sciences, constitue une part importante de l’activité : dénommer, classer, regrouper, ce n’est pas seulement décrire une réalité observable, c’est aussi lui donner un sens et participer à sa mise en forme, à sa perception collective, de façon éventuellement durable.

Suivant les domaines de notre discipline, les appellations changent : les « électeurs » ou l’ « électorat » pour l’analyse politique électorale ; la « population » pour l’analyse des politiques publiques, notion tout aussitôt fragmentée en multiples sous-catégories issues le plus souvent de l’administration publique (les catégories socio-professionnelles, les catégories issues de la gestion des politiques d’emploi (comme les chômeurs de longue durée,…) ; les « nations », les « peuples » ou les « citoyens » dès lors que l’analyse politique aborde des questions de légitimité ou de représentation politique internationale ou interne ; les « groupes sociaux » et/ou les « classes sociales » sont mobilisés dès qu’il s’agit d’aborder des questions de conflits ou de revendications,… D’autres termes plus médiatiques pénètrent aussi les analyses : l’opinion publique, le public, le citoyen lambda, les usagers,…

Au-delà des spécialités de domaines, la science politique dispose-t-elle encore aujourd’hui de catégories d’analyse commune pour nommer les « gouvernés » ? Comment ces « catégories » se complètent-elles ou s’opposent-elles suivant les courants théoriques ? Y-a-t-il une nécessité de renouvellement de la dénomination face aux changements qui affectent les pouvoirs politiques ? Y-a-t-il des pratiques d’auto-désignation qui tranchent avec la dénomination classique ? Des dénominations particulières peuvent-elles « dévaloriser » ou « survaloriser » la qualité et la capacité d’acteur politique des gouvernés ?

Comment analyser les gouvernés ?

L’appareillage théorique, conceptuel et méthodologique de la science politique fournit surtout une panoplie d’outils large pour aborder l’analyse des gouvernés qui se sont organisés de façon telle à être institutionnellement reconnus : partisans et militants des partis politiques, membres des organisations syndicales, membres de groupes dit de « pression »,… De nombreux outils méthodologiques quantitatifs (enquêtes d’opinion, etc.) et qualitatifs (entretiens, focus groups, etc.) sont mobilisés à cette fin.

Mais cette reconnaissance comme acteurs légitimes et durables, tant par les autorités que par les analystes, peut prendre un certain temps, ne jamais se faire ou n’avoir pas d’objet en cas de constitution de « groupes » ou de « collectifs » spontanés. Le statut symbolique de certains groupes d’acteurs peut aussi fortement évoluer dans le temps : déconsidérés puis reconnus ; mis à l’avant de la scène puis oubliés. Ainsi de nouveaux acteurs socio-politiques ont émergé (le mouvement des femmes, les organisations d’immigrés, le mouvement « gay », les écologistes, les altermondialistes ou les « décroissants »…) tandis que d’autres semblent avoir moins de consistance qu’auparavant (le mouvement ouvrier) : question de focale théorique ou de diversification de l’action politique liée à la transformation des enjeux de société ?

Plus largement, comment décrivons-nous aujourd’hui le comportement politique de ceux qui se manifestent mais aussi de tous ceux qui semblent a priori ne pas agir, ou du moins ne semblent pas être directement aux premières loges ? La pratique des sondages présentée comme un moyen d’approcher au mieux la masse de l’ensemble des administrés ne risque-t-elle pas d’induire une vision de « prédiction » comme si l’objet à circonscrire était par nature instable et inconstant et donc quelque part « incompréhensible » ?

Les apports d’autres disciplines-sœurs…

Le comportement politique des gouvernés peut difficilement être explicable saisi à l’instant « t » et sans un travail de contextualisation plus générale qui mobilise théories, concepts et analyses empruntés à la sociologie et l’histoire. De même, la psychologie ou l’économie ont pu développer des hypothèses utiles pour les politistes intéressés par l’étude des comportements politiques individuels (phénomène du leadership ou rôle des émotions, par exemple) et leurs liens avec les dynamiques collectives qui en résultent (modèles d’agrégation des préférences notamment). Qu’ont à nous dire aujourd’hui ces disciplines-sœurs lorsqu’elles appréhendent l’analyse de ceux qui sont et furent des gouvernés mais aussi des collectifs humains qui ne se nourrissent pas seulement de politique ? Si les liens entre comportements politiques et classes sociales sont classiquement mis au jour dans les travaux d’analyse politique et de sociologie électorale, comment sont appréhendées d’autres logiques sociales collectives que le lien partisan, qui peuvent être à l’œuvre dans les choix et les positionnements politiques des groupes sociaux, des classes sociales,… et au-delà de l’acte électoral ? Comment s’alimentent et s’entrecroisent aujourd’hui les différents rapports de pouvoirs qui s’exercent sur les populations ou certaines de ces fractions, et quelles sont les responsabilités des pouvoirs politiques dans l’entretien et la reproduction de ces « nœuds » de domination ?

Les délimitations géographiques du cadre politique où s’exerce le pouvoir bougent mais ce fut bien souvent le cas par le passé : que peut nous apporter la réflexion historique de long terme sur la formation de l’identité politique des gouvernés ? Comment se constituent et se reconstituent sans cesse les « peuples » ou les « nations » ?

Des rapports entre gouvernés et gouvernants…

Parler des gouvernés comme « objet » de l’analyse politique peut enfin difficilement se faire de façon abstraite, sans aborder en même temps la façon dont le pouvoir politique traite (de) ses « sujets » ou (de) ses « ressortissants ». L’examen de la nature des liens qui unissent un peuple et ses représentants politiques a toujours été central dans l’analyse politique, faisant de la « représentation », et de la qualité de la représentation, des points-clés du fonctionnement politique. Cette qualité est mise à mal dès lors que les gouvernés délaissent la désignation de leurs représentants. Les taux d’abstention lors des élections interpellent. L’abstention populaire aux dernières élections européennes, particulièrement forte, montre un décalage net entre un pouvoir qui se transnationalise et des gouvernés en désaccord, en rejet ou simplement indifférents. Si le pouvoir politique ne peut absolument pas exister sans « subordonnés », la réciproque est-elle vrai ? Le droit à l’auto-détermination des peuples peut-il aller jusqu’à signifier tout refus d’être « représentés » ? Est-ce le sens de la démocratie dite « directe » ? La notion de « démocratie participative » est à la mode : relève-t-elle d’un modèle opposable et opposé à la « représentation parlementaire », est-ce une façon de résoudre les questions actuelles de délégitimation du pouvoir ? Si certains gouvernés rêvent de s’émanciper de toute forme de pouvoir politique, les dirigeants ne sont-ils pas tentés, de façon similaire, de gouverner au-dessus des gouvernés ? Il est ainsi devenu courant de mentionner une rupture qui serait de plus en plus prononcée entre les « élites politiques » et les populations tout comme de parler de la « dépolitisation des masses ». Une mise au point des théories actuelles qui lient ou délient « populations » et « pouvoir » semble ainsi particulièrement pertinente tout comme l’analyse du contenu des revendications populaires portant sur la réforme de l’organisation politique.

Nous espérons que ces divers questionnements préalables pourront stimuler la réflexion et qu’ils engendreront des débats riches, des débuts de réponses intéressantes mais aussi de nombreuses autres questions car ainsi va la science !

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